A l’arrivée des premiers à hauteur de la rue de Tilsitt, un extraordinaire feu d’artifice fut déclenché du sommet de l’arc, illuminant la colline et ses alentours. La statue de la résistance de 1814 de Etex était flamboyante, les marcheurs allaient s’en inspirer. La place était déserte, les spectateurs étaient retenus derrière les barrières, les marcheurs pouvaient emprunter la chaussée par la droite ou par la gauche, en quelques instants, la marée humaine encercla l’arc de triomphe. Vu de la nacelle du dirigeable de 200m de long affrété pour la presse, le spectacle était formidable. L’arc était transformé en île par le flot mouvant des marcheurs. Au loin se profilait l’obélisque de la Concorde, la vague humaine déferla sur l’avenue des Champs-Élysées. Ces milliers de marcheurs, sur la place s’engagèrent, le parcours bifurquait, passant au pied de la grande roue des Tuileries ; Marcel Campion, son créateur avait choisi de venir saluer ces conquérants de l’inutile. Entouré de ses amis musiciens, ils n’eurent de cesse d’interpréter jusqu’au dernier passé ce jazz manouche de félicité. De la tête du peloton aux derniers à se présenter, les marcheurs les ovationnèrent et ainsi s’en allèrent musique en tête.
Le parcours offrait alors deux options, l’une par la rue Royale, Madeleine et les grands boulevards, l’autre empruntant la rue de Rivoli et le boulevard Sébastopol, la station de métro Strasbourg Saint Denis étant leur lieu de jonction, les deux parcours furent envahis par les marcheurs de ce Paris-Roubaix inédit. Curieusement les têtes des deux colonnes se rejoignirent à l’intersection des boulevards Sébastopol et Saint Denis. Côte à côte, puis mêlés, ils montèrent le boulevard de Strasbourg.
La gare de l’Est atteinte, ils filèrent porte de la Villette par la rue du faubourg Saint Martin et la rue de Flandre. Durant cette folle traversée de Paris, la foule avait été dense, des balcons des immeubles fusaient les encouragements. Cette marée humaine montait vers le nord, comme à l’époque des invasions, mais cette fois-ci, le mobile était totalement pacifique : le sport.
Le premier à passer sous le pont du périphérique km 11 fut le vétéran de Paris nommé Dédé. Cet homme faisait partie de ces adeptes du tour de Paris qu’il avait déjà bouclé près de 400 fois avec ses amis. Le Paris-Roubaix l’avait séduit, en bon marcheur qu’il était, il s’y était préparé. Georges Feliceto, le corse de l’AJ Bastia, le suivait de près. Paris intra-muros derrière eux, les cyclistes-accompagnateurs pouvaient suivre leur marcheur attitré. A cet instant, les cloches de Paris et sa banlieue nord-est se mirent à sonner, saluant la sortie des marcheurs de la capitale. L’événement était international, les cameramen des diverses chaînes télévisuelles étaient à la tâche. Les marcheurs entraient chez les habitants par leurs écrans interactifs. Le clocher de l’église Sainte Marthe des 4 chemins de Pantin sonnait 19h30. La nuit s’annonçait, « la dure des dures du nord, la Pascale, la Reine des classique » des cyclistes s’offrait aux marcheurs.
Le Bourget km17 était atteint en moins de 2h. La nuée s’étalait maintenant sur la route nationale 2. De voir passer une telle affaire, avait transformé l’étonnement des banlieusards en ferveur. Le quotidien Le Sport titrait à la une : Paris-Roubaix à la marche ils sont près de 100.000 ! les grands Marathons étaient battus à plate couture. La communication avait été rondement menée. Orchestres improvisés, fanfares et cliques jalonnaient le parcours de place en place, les marcheurs étaient portés par cette liesse musicale.
A 20h, ils bifurquèrent vers Sarcelle Montmorency pour rejoindre la N1 dégagée de tout véhicule, plus de pétrole, plus de voitures.
...Beauvais était à 70km de là, 7h pour les hommes de tête, 10h de marche pour la fin du peloton. Se relayant tour à tour en tête, les franciliens menaient la danse, Pascal, Tijean, Roger, Jean-Pierre. Gilles, l’un des leurs était en retrait à quelques dizaines de mètres, attendant son heure; le breton Serge Geo ne le quittait pas d’une semelle. Les cyclistes-accompagnateurs avaient fort à faire, attentionnés de chaque instant, certains se frôlaient dangereusement tant la proximité des uns et des autres était faible; parfois, déséquilibré, l’un d’eux était obligé de mettre pied à terre pour ne point chuter. Mais l’épreuve ne faisait que commencer et le temps allait allonger la marée humaine, de 7 à 10km.h, les écarts se creusaient rapidement. Les premières féminines n’étaient pas loin des meneurs, la grande hollandaise Marleen emmenait un groupe composé des britanniques Sandra et Jill, des françaises Isabelle, Delcina, les 2 Marie-Claude, Elisabeth, Josiane, Claudine. Les russes Evguénia, Irina, Ludmila, Elena, étaient groupées. Surgissant d’entre les forêts de l’Isle Adam et de Carnelle, ils franchiraient l’Oise au km 50. La chenille humaine était en route. Une seule chose était assurée, la météo agricole avait annoncé beau temps sur 3 jours. La lumière du jour s’effaçait, l’étoile du berger était en place, celle du nord était visible, la première nuit était engagée. L’écart des leaders au dernier était déjà de plus de 2 heures.
Beauvais, 85e km, 3h du matin, les beauvaisiens informés attendaient le passage des premiers. Les cloches de la cathédrale annoncaient leur arrivée dans les faubourgs de la ville. Malgré l’heure indue, les gens encore ensommeillés sortaient sur le pas de leurs maisons, ouvrant leurs fenêtres et volets pour encourager les marcheurs qui n’en croyaient pas leurs yeux. Au lever du soleil, un homme seul caracolait en tête sur un rythme effréné, le polonais Grzegor-Adam mènait la danse du Paris-Roubaix de pied de maître.
60km et 7h de marche plus loin se profilaient les tours de la cathédrale d’Amiens km140. A mi-parcours, de Breteuil à Esquennoy les membres du Revathlebreteuil de Jacky Rucquoy accompagnaient les marcheurs durant tout leur passage, extraordinaire fusion !
Les éoliennes du paysage tournaient de joie. La N1 de l’épreuve bordait l’autoroute A16 quasi-déserte. La tête des marcheurs quitta l’Oise pour enter dans la Somme, longeant la vallée de la Selle et un tronçon de la chaussée Brunehaut, l’ancienne voie Agrippa que les romains empruntaient. 2000 ans plus tard, les cohortes de marcheurs de ce jour étaient sur les traces des légions romaines, extraordinaire voyage dans le temps ! Les hommes de tête allaient traverser Amiens de part en part. Ils arrivent ! Le meneur n’était plus seul, l’enfant du pays Eddy Ro était devenu menaçant à quelques mètres derrière le polonais. Le bourdon de la magnifique cathédrale s’emballa. https://www.youtube.com/watch?v=XBoOoJp-0gg
La Somme franchie, ils retrouvèrent la N25 direction Doullens à 31km. 170e km 20eme heure, au sortir de la ville, 2500m de côte face au vent attendaient les concurrents. Voyant le pays ruiné de 4 ans de guerre, Eugène Christophe le cycliste n’avait-il pas dit en 1919 « ici c’est vraiment l’enfer du nord ». Près d’un siècle plus tard, les marcheurs du 1er Paris-Roubaix purent constater que « le vieux gaulois » ne s’était pas trompé. De loin en loin était parsemés des carrés de croix et de stèles blanches gardées par un seul arbre. La région était le front de ce qui est appelé la Grande Guerre et ses milliers de croix. Les corps des marcheurs commençaient à connaître des enfers de douleurs. Les services sportifs médicaux étaient sollicités. Au sommet de la côte, le polonais avait repris ses distances, Eddy résistait. Arras et sa grand’place étaient à 36km droit devant. La borne séparant les départements de la Somme et du Pas-de-Calais était franchie. Aux marcheurs, bienvenue chez les ch’tis !
à suivre !
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Moi, je préfère la marche à pied (Henri Salvador)
J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence (Anatole France)
“Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.” [i]René Char[/i]
Ne crains pas de marcher lentement, crains seulement de t'arrêter.