PARIS-ROUBAIX à la marche (fiction)- acte 3
Depuis Beauvais, les marcheurs avançaient sur 140km de sections de quasi-lignes droites de 30 à 40km. Peu d’ombre, peu de vent ; dès 9h, le soleil assiégeait nuques têtes et trapèzes, les rares arbres aperçus de loin en loin ne faisaient qu’empirer l’envie d’aller si protéger. Les malheureux qui s’étaient vêtus de collants courts voyaient leurs mollets grillés de coups de soleil. La douleur permanente était garantie, l’accepter, c’était l’endurer, encore fallait-il pouvoir car la simple volonté ne suffisait pas. Pour affronter ces défis, le mental du marcheur devait être à son plus haut niveau, sinon, stop définitif caniveau ! marcher sous 45° durant des heures, les organismes rissolaient, les premiers arrêts médicaux ne se firent pas attendre, l’intérieur de mes chaussures atteignait 60°, imaginez l’endurance des pieds ! Le bitume fondait sous les pas, son odeur entêtante brûlait les narines. Le peloton étiré sur plusieurs heures, cahotait, chancelait, carbonisé il fondait au fil de l’avancement de la journée. Beaucoup de marcheurs s’arrêtèrent à l’ombre d’un mur, dans un fossé, un abri de bus, une grange, pour ne plus repartir, leur rêve définitivement brisé par Hélios ! Cette journée de la Somme fut dévastatrice pour le peloton. Ces heures de chaleur accablante, furent à juste titre surnommées « la journée du laminoir ».
Arras, 17h km205, 23
e heure de marche pour l’homme de tête ; il traversa la place des Héros emplie de barnums. Les services médicaux sportifs étaient à la disposition des concurrents. Kinésithérapeutes et podologues oeuvrèrent à partir de 19h. Les sourires d’Alexandra, Mounir et des leurs, chasseurs implacables de phlyctènes, crémant, nokant* à foison, aseptisèrent les maux et permirent à nombre de marcheurs aux pieds blessés de continuer leur avancée dans leur rêve. 40km en arrière, les derniers concurrents entraient dans Doullens, avec plus de 5h d’écart. Les marcheurs ne cessèrent d’affluer, isolés, groupés, par vagues, certains s’arrêtaient pour des soins, d’autres pour dormir le temps d’une récupération et repartir, d’autres s’arrêtaient boire une mousse à une terrasse, hydrater, il fallait hydrater ces corps desséchés ; d’autres encore ne faisaient que passer, Eddy en était, marchant dans un groupe de poursuivants qui se relayaient tour à tour, encore menaçants pour le leader. Tous étaient traités avec respect et envie, cela se lisait dans les yeux des spectateurs, les enfants admiraient ces géants de la route venus d’ailleurs. Les demandes d’autographes n’étaient jamais refusées, voir le plaisir dans le regard d’un enfant n’a pas de prix, plus tard il se souviendra et racontera aux siens : « J’ai vus marcher les Paris-Roubaix ».
Arras :
https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=6_eWUF-DOPA 3h plus loin, l’Artois traversé, après plus de 26 heures d’épreuve, Douai annonçait le 230ekm à moins de 80km de l’arrivée. Les géants Gayant avaient été sortis pour saluer les marcheurs. La place d’armes était occupée par de grandes tentes aménagées sous lesquelles il était possible aux concurrents de se reposer, équipes de soins disponibles. Il était plus de 20h, longer la Scarpe, franchir le pont-levis de la porte d’Arras apportait enfin une certaine fraîcheur aux athlètes surchauffés ; le fait de voir la nuit s’avancer les revigoraient. L’étoile du berger était revenue se mettre en place, Orion était au firmament de cette seconde nuit. Les secteurs pavés, dévastateurs d’articulations fragiles et de corps fatigués étaient encore à venir.
Le polonais menait l’épreuve avançant encore à plus de 8km.h. Il savait les français à distance suffisante pour lui interdire tout relâchement, le retour de l’un d’entre eux était toujours possible; une faiblesse de sa part, une attaque de la leur pouvait changer la donne d’autant plus qu’un belge, un russe et un anglais s’étaient joint à eux. Non loin, un groupe de marcheuses était en train de se former, la surprise était de taille. La deuxième nuit, la fameuse deuxième nuit à marcher, redoutée de beaucoup, allait impitoyablement tester les organismes, y exploiter la moindre faille de préparation.
Douai :
https://www.youtube.com/watch?v=AVhWnHAgT2g 1h au-delà de Douai, Bruille-lez-Marchiennes, me rappelait une sympathique épreuve de 6h course et marche à Marchiennes même.
Km255; minuit sonnait à l’hôtel de ville de Somain; voici Wallers et sa terrible tranchée d’Arenberg de 2400m. Attention à la fraîcheur et humidité assurée de la forêt de Raismes, même en été ; le corps chauffé à blanc par des dizaines de kilomètres parcourus, ne supporte plus les différences rapides de températures. Gare ! aux coups de froid devenant coups de barre, crampes et autres maux prêts à agenouiller le meilleur des marcheurs ! Après plus de 270km de marche, cette Drève des boules d’Hérin dite tranchée de Wallers Arenberg réputée dans le monde cycliste allait ruiner les voûtes plantaires peu entraînées aux pavés disjoints. Echelonnés, les marcheurs passaient sous le pont minier.
1h du matin, malgré la nuit avancée, les familles descendantes des mineurs polonais du nord étaient là sur le bas côté agitant les couleurs de leur champion. L’un des leurs était en tête, imperturbable, quasi-indestructible, Grzegor-Adam pressentait qu’il avait marche gagnée mais il se gardait de tout relâchement et de toute accélération intempestive, plus de 30h de marche fragilisent un homme. Il savait que derrière, « ils n’étaient pas si loin » et que malgré son expérience acquise sur ses 10 victoires du Paris-Colmar, une défaillance surprise n’était jamais à écarter.
Bien plus tard, je passais à l’Alène d’Or km260, une pancarte directionnelle Tilloy-lez-Marchiennes me renvoyait à nos souvenirs des 6h nordistes que nous fréquentions annuellement des années auparavant, Marchiennes, La Gorgue, Loos, Fleurbaix, à l’époque des grands Colmar, nous marchions Ch’ti. Ici je n’analysais plus rien, je marchais au côté d’Elisa, soufflant de concert, calé au milieu des miens. Km275, le carillonneur d’Orchies-en-Pévèle annonçait les marcheurs, plus que 33km à marcher !
https://www.youtube.com/watch?v=E1u3xUUxxrQ Cysoing-Bouvines 290
e km 4h du matin, 34
e heure de marche. Les premiers atteignaient le carrefour de l’arbre – 1100m pavés de Luchin - dans la plaine de Bouvines, ici, nous marchions dans l’histoire de France de nos livres d’enfants. Il y a 8 siècles, lors du dimanche 27 juillet dit de Bouvines, plus de 7000 piétons…marcheurs…et cavaliers stoppaient l’invasion du pays.
http://www.bouvines2014.fr/ Les derniers marcheurs passeront vers les 14h…
A suivre pour la der des der !