EN MIEUX
Magazine d'informations locales • Nouvelle série N°17 décembre 2010
Lady Pédibus
Les habitués du stade Karman l’ont forcément croisée sur la piste d’athlétisme.
Jacqueline Bonnet-Delassaux, discrète retraitée, détient un double record du monde
De marche athlétique dont elle a écrit de belles pages.
Son palmarès a des allures de bottin téléphonique, mais Jacqueline Bonnet- Delassaux, 64 ans tout frais, a la modestie tenace. Ses records mondiaux de marche athlétique, arrachés en 1975 et1976 sur 5 000 m, ses neuf années de sélection en équipe de France, son record de France détenu entre 1968 et 1982, ses titres de championne de France, ses onze titres mondiaux ou européens dans la catégorie vétéran ? « Ça n’a pas changé ma vie, ni ouvert de portes. » Regard clair, sourire facile, la remarque est lâchée sans frustration, un constat, rien à lire entre les lignes.
Pendant longtemps son quotidien se traduisait par le boulot pendant la semaine,
sur les podiums, le week-end ! Et pas un jour de dispense accordé à la jeune athlète internationale, occupée à construire sa carrière dans les rangs de l’hôpital public. Titulaire d’un CAP de sténo-dactylo, Jacqueline passe les concours, administratif d’abord, puis médical, avec un dernier poste au service psychiatrie de l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois. Pour se rapprocher du travail, elle s’est installée à Aubervilliers, il y a15 ans. Une recrue de choix pour la section Athlétisme du Club municipal d’Aubervilliers dont elle est adhérente depuis 10 ans.
« Quand j’étais pressée pour aller au travail, je ne courais pas, je marchais vite. »Un train d’enfer
qui faisait s’exclamer les anciens en rigolant,« c’est le Paris-Strasbourg! » Les vieux plaisantins
N’étaient finalement pas loin du compte.
En octobre 1966, Jacqueline Delassaux, jeune fille de 19 ans débarquée depuis quelques mois dans le monde du travail, s’enrôle dans le club de marche touristique et sportive de Vernon. Un loisir sans extravagance, le début d’une extraordinaire carrière sportive. Un an plus tard, elle découvre la marche athlétique.
Repérée pour son potentiel, elle fait un premier test en 1968 qui la propulse au rang de meilleure marcheuse nationale.
Lorsque Emile Anthoine, créateur du mythique Paris-Strasbourg (devenu Paris-Colmar en 1981), la voit débarquer sur les pistes, son credo vole en éclats. « Avant moi, il ne voulait pas entendre parler de la marche féminine ! » Et la légende de la marche athlétique écrit : « Vous serez, un jour, sans doute, la meilleure au monde».
Au début des années 1980, reine du jeu sur 5 000, 10 000, 20 000 m et sur 50 km,
la championne s’attaque à un pré carré masculin, le grand fond. La voilà partie pour des compétitions de 24 heures(173 km pour sa meilleure performance)et, 10 ans plus tard, sur les 340 km du Chalons-Colmar, version féminine de la célèbre épreuve Paris-Strasbourg. Deux jours et deux nuits de marche. Un exploit ?
Non, bien sûr ! « Beaucoup de gens sont capables de marcher 24 heures, c’est vraiment le mental qui emmène le physique. »
Mais la seconde nuit à marcher sans dormir, elle en convient : « C’est terrible. Le corps va bien, mais la tête veut dormir ».
Cela ne l’empêche pas de pousser la performance plus loin. En juin dernier, un an après une opération à la hanche, Jacqueline s’est alignée sur la grille de départ du défile plus fou : le French ultra festival, à Antibes.
Une compétition de six jours réunissant le gratin des coureurs et des marcheurs de fond, où elle s’est classée seconde féminine (catégorie marche).
Cette marcheuse infatigable n’en dédaigne pas pour autant les loisirs moins mouvementés.
Ainsi, la chorale avec les seniors d’Aubervilliers et la poésie, qu’elle partage parfois dans des sessions de slam.
Son nom de plume ? Lady Pédibus !
Véronique PETIT